Le concerto pour violon de Piotr Ilitch Tchaïkovski
Émission du 25 mars 2024. En mars 1878, Tchaïkovsky, qui approche de la quarantaine, traverse une grave crise existentielle après avoir tenté de se donner la mort en se jetant dans les eaux glacées de la rivière Moskova. Son mariage avec l’une de ses anciennes élèves, censée le détourner de son homosexualité, s’était avéré être une union « emplie de haine, de crainte et de désespoir », comme il s’en confie à son frère Anatole. Réalisant qu’il lui était impossible de faire semblant, malgré sa volonté de se donner une image respectable vis-à-vis de la société, il fuit Moscou et part pour la Suisse, à Clarens, sur les bords du lac Léman. Il y retrouve le goût de vivre et d’écrire grâce à la visite de Josef Kotek. Jeune violoniste de 23 ans, dont il avait été le professeur à Moscou. Celui-ci réveille son inspiration, et il se lance dans la composition de son concerto pour violon, donnant naissance à l’un des plus grand concerto romantique, dans lequel se déploient une puissance expressive et virtuose. Un sentiment d’exaltation parcourt la partition du compositeur russe, qui se montre ici bien décidé à vaincre ses démons : « Depuis le jour où ce souffle propice m’envahit, il ne m’a pas quitté. Dans une telle période d’inspiration, la composition perd complètement son caractère laborieux, c’est un pur bonheur. Vous ne réalisez pas le temps qui passe pendant que vous écrivez et si personne ne venait vous interrompre, vous pourriez rester assis toute la journée sans vous lever. »
La partition fut d’abord dédicacée au violoniste Leopold Auer, qui la refusa dans un premier temps, celle-ci étant d’une difficulté inédite. Léopold Auer, éminent professeur de Saint Pétersbourg, avait un jour accordé de mauvaise grâce une audition à un certain Jasha Heifetz, car il détestait viscéralement les prétendus enfants prodiges. Mais il qualifia de « tour de sorcellerie » la prestation que lui offrit ce dernier et l'admit dans sa classe sur-le-champ. Lorsqu'éclate la révolution russe, en 1917, Heifetz quitte la Russie et émigre aux États-Unis avec sa famille, suivant l'exemple de son professeur. Ses débuts au Carnegie Hall, le 27 octobre de la même année, devant tous les grands du violoniste de son temps, sont restés longtemps dans les mémoires. Parmi eux, Fritz Kreisler déclara : «Messieurs, nous n’avons plus qu’à prendre nos archets et les briser sur nos genoux ».
Nous écoutons le premier mouvement du concerto pour violon de Tchaïkovski, dans la version de Jascha Heifetz, accompagné par l’orchestre symphonique de Londres sous la direction de Sir John Barbirolli.